Conte du migrant élu (1)

Publié le par marc

Conte du migrant élu

 

Toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé n’est que pure coïncidence

 

Il était une fois un chef, aux dents longues et polies, au sourire charmeur, au parler franc, bien qu’il passât un jour la frontière, jeune enfant, sans tambour ni trompette, venant d’un pays d’au-delà du Danube, là où les forêts regorgeaient de loups. Non content d’avoir conquis, au fil du temps, par son charisme, par son instinct de la politique et son sens des affaires, un grand nombre de pouvoirs, avec la bénédiction de son peuple adoptif,  celui-ci acquit de surcroit, en pactisant avec je ne sais quel  diable, le pouvoir extraordinaire de séduire, d’envouter quiconque s’introduisait dans sa sphère d’influence. Par la magie du verbe, quelques caresses du regard fort à propos, il possédait depuis l’aurore de son temps le don d’hypnotiser le prochain le plus récalcitrant, le plus rebelle, talent hérité, selon des sources plutôt obscures, d’une aïeule magyare à la fois comédienne et sorcière. En outre, pour parfaire la panoplie de l’enchanteur, à l’aide d’effets d’annonces magistralement orchestrés par les crieurs publics et libéraux médusés, l’homme attirait dans son palais toute une brochette de femmes et d’hommes, illustres inconnus, stars du stade et de l’académie, une palette multicolore, hirondelles des faubourgs, éléphants de Sarcelles ou de Boulogne sur mer, saint-bernard de l’humanitaire,  qui lui prêtaient allégeance avec toutefois, sur le bout de la truffe ou de la trompe un chouïa de réserve, – citoyens, de l’intérieur, nous serons de vrais acteurs et, si la partition nous déconcerte, nous quitterons la fosse et le maestro sans déshonneur ! – et ils entraient derechef, sans états d’âme et profil haut à son service .

 

Ce remarquable pêcheur  en eau trouble, bénite ou de rose  attirait dans ses filets toutes sortes d’échantillons : perches et thons, pèlerins et merluches, maquereaux et lunes, ombres et morues, chimères et pilotes, menus fretins et opulents requins. Dans son ombre ou en pleine lumière s’ébattaient et frétillaient  en harmonie ces spécimens inconciliables.

 

Une ère nouvelle, de croissance, de travail et de progrès  régnait dans cette contrée tempérée aux paysages grandioses tissés de toiles d’autoroutes rapides et sures, parsemés de belles mégapoles entièrement pacifiées.

Chacun, à sa place – l’ascenseur était en panne – à la pointeuse ou au perchoir, au golf ou au comptoir, se  félicitait du nouveau climat de confiance et d’optimisme qu’il avait instauré. Un fort consensus autour du chef était né, entretenu par des brigades de militants enthousiastes et, comme une traînée de poudre, tel un écho réitéré par monts et par vaux , un slogan salvateur se répandait : « un seul bateau, un seul capitaine,  terre espérance à bâbord ! » Même les autres chefs, ayant mordu la poussière, après consultation populaire, , restaient bouche cousue devant ce  grand conquistador d’un mètre quarante-sept. Certains caciques, ensorcelés, l’avaient rejoint dans son irrésistible orbite et distillaient à présent – les convertis de la première heure – sa bonne parole : « travaillez, prenez de la peine, l’escarcelle demain sera pleine… » Exceptés quelques grincheux, jaloux, soixante-huitards attardés, utopistes chevelus, rêveurs rétrogrades, passéistes verbeux, tout le monde le trouvait au goût du jour et du siècle nouveau, religieux (ou qui ne sera pas !). Dieu est argent…Dieu est lumière…

C’était un prêcheur patenté, un guide ! Un jour la presse quasi unanime et la grande Histoire le déclareraient peut-être suprême, cela s’était déjà vu dans le passé, ou encore  bon petit père du peuple…ou mieux encore, le Migrant Elu. Il désarçonnait de son verbe flatteur ou acéré les opposants les plus fougueux, les plus incrédules, les plus ombrageux, il jouaient des trémolos pour la masse des anonymes qui buvaient ravis, les yeux fermés, le breuvage ferme et liquoreux de la croissance et de la sécurité tel un vin d’appellation fortement contrôlée. Car, dans la contrée, tout était contrôlé : espaces privés et publics, ce qui en restait, étaient devenus une prodigieuse chambre d’enregistrement, disposition qui avait eu le mérite de muscler une croissance durable, par la création d’une pléthore d’emplois de contrôleurs assermentés

 

Chacun avait repris son outil de travail avec ardeur, partait à l’aube nouvelle en chantant et rentrait au coucher, toujours chantant, acteur conscient de sa nouvelle mission – conquérir des marchés de Provence, d’Alger ou de Tripoli – Ceux qui  avaient  égaré le leur en cherchaient un nouveau avec hargne, aidés par un serveur informatisé – finis maux de gorge à répétition et grèves à foison – du R.P.L.T (réseau pour la libération par le travail –adaptation, mobilité, efficacité. Restaient les derniers, toujours les mêmes, déjà petits, collés au radiateur, nourris au lait d’ânesse, les indécrottables, les cancres, très minoritaires qui se retrouvaient dans des voies de garage à écouter les grandes chaines de télévision libérales les conspuer au moins quarante heures par semaine. En échange, ils touchaient un R.M.R (revenu minimal de rééducation). Pour ces pauvres diables, la cause était perdue. Le dimanche venu, les deux premières catégories, méritantes, futures médaillées de l’ordre du labeur, poussant leur caddy avec ostentation, conscients des bienfaits du nouveau régime, se pavanaient, tête haute et petite bourse déliée, bras dessous bras dessous, dans les allées des hypermarchés, reboisées de conifères synthétiques, parfumés à la chlorophylle. Là, ils s’approvisionnaient, en un mot, ils se ressourçaient…La vie était belle à cueillir dans les rayons les fruits juteux de leurs efforts. Sur un écran géant, le chef se prélassait pour une huitaine sur un yacht de huit cent cinquante-deux mètres prêté par un ami.

 

                                                  A suivre

 

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