conte du migrant élu (2)

Publié le par marc

« La vie était (donc) belle à cueillir dans les rayons les fruits juteux de leurs efforts. Sur un écran géant, le chef se prélassait pour une huitaine sur un yacht de huit cent cinquante-deux mètres prêté par un ami. Existe-t-il de plus belle communion avec le peuple ? »

 

 

Conte du migrant élu

                               Deuxième partie

 

Il était un petit navire – tout est relatif : que représente un éléphant de Meaux vu d’en haut ? Tout au plus un  vulgaire vermisseau – mis à disposition, par Ernest Antoine de Pet-Doré, compagnon de fortune, petit navire qui était d’ailleurs sujet de mesquine controverse. Un communiqué avait filtré, à menus filets, par voix d’un canard déchaîné, des cancans nous dit-on, seul survivant précaire des temps obscurs « Soixante-huit » a vécu, il a un goût de cendres : la polémique portait sur la longueur de l’embarcation, quarante-huit centimètres selon le ministère de la sureté de l’information, huit cent quatre-vingt sept mètres selon le dernier syndicaliste, qui ne représentait que lui-même.

Mais l’essentiel n’était pas dans ce fait divers monté en épingle, tiré par les chevaux poussifs de la médiocrité, mais plutôt dans le haut fait, le scoop suivant :  Monsieur notre vénérable maître avait invité, pour une partie de crocs en jambes en l’air, à bord de son navire,  une bolonaise échappée belle d’un magazine de mode devenue chansonnière fleur bleue. Cette idylle digne des plus belles pages du « miroir des Mondanités » avait vu le jour quelques semaines auparavant dans les sables émouvants de Paris plage, où le chef magnanime, parmi son petit peuple, prenait, à pleines brassées, un chaleureux bain de foule. Son regard séducteur avait croisé celui de la donzelle roucoulant gracieusement pour tous les va-nu-pieds. Celle-ci laissa paraître au beau un doux visage énamouré et par  les feux de l’amour se laissa transporter. Aussitôt la presse en sandales, tapie en fond de Seine, de ses flashs obèses, matraqua les jolis tourtereaux, en fit sa une et ses choux gras, pardonnez, lecteurs sous le charme, l’image saugrenue. Flânant sur les quais ce jour-là, parmi les gobe-mouches, j’en garde un souvenir attendri, impérissable et quelques beaux clichés.

 

Notre « Bien-aimé chef à tous » - ainsi se proclamait-il chaque matin devant son miroir aux alouettes et ses écrans de contrôle - avait réuni autour de lui, une galerie de portraits des plus inattendus, représentants des cultes mono nucléiques,  cathodiques et apotropaïques, d’associations caritatives, sportives et de malfaiteurs, de chambres d’agriculture raisonnée et de bonnes, de syndicats mixtes et producteurs de salade, des ligues antialcooliques et antiadhésives, des mouvements des compagnies des Indes et de Jésus, j’en passe et des plus biscornus. Sur la photo officielle, suspendue à la droite du miroir, il trônait au cœur de ce monde bigarré, provenant de la campagne profonde, de la grande ville et de ses ceintures chastes ou dépravées. Il couvait cette haute cour d’un regard concupiscent, possessif et autoritaire tel un coq en pâte, si j’ose dire. On l’avait placé sur un tabouret, mais le retoucheur l’avait effacé.

A la gauche du miroir, était accroché un autre cliché représentant le chef, seul, solennel, sans estrade, arborant une somptueuse robe de velours pourpre aux liserés d’or. Derrière lui , se dressaient blasons, bannières et armoiries de la noble maison. En arrière-plan, une bibliothèque Louis le Pieux contenant tous les trésors de la littérature de la contrée. Ces livres, l’honnête homme, selon la version officielle, les avaient tous lus ou tout au moins parcourus dans leurs grandes lignes. Certains d’entre eux lui avaient inspiré ses dernières et glorieuses campagnes. L’ennemi alors, comme à Austerlitz, avait mordu la poussière. Mais lui avait su être magnanime. Ce cliché, désormais, avait sa place dans presque tous les foyers, entre l’Angélus de Millet et le palais de la Bourse, mélange savant de tradition et de modernité. Les rares récalcitrants allaient peut-être un jour déchanter. Dans son miroir hyperbolique, le chef se voyait….

- Chut ! Patience, chuchota-t-il, mon heure viendra !

 

Un matin, pourtant, alors qu’il dialoguait avec son double, souriant, grimaçant, (il adorait en aparté singer Louis le  moins funeste, dix-neuvième du nom- c’est vrai, comme disait Jacques qu’ils ne sont pas « fichus dans cette famille de compter jusqu’à vingt ! »…)  aplatissant une mèche qui osait être rebelle, il posa la question rituelle : « Miroir, mon beau miroir, qui aujourd’hui me fera la peau ? », ne s’entendit pas répondre la phrase habituelle : « Personne, mon bon seigneur ! » mais  celle-ci, plus inquiétante, qui le plongea dans une bile noire, et ses vieux démons assujettis (tics, tocs et contorsions) jaillirent à nouveau du profond de son être : « Il existe dans le faubourg de Fourbe-Voie un jeune trublion qui défie votre grandeur! ». Le chef piqua une colère de dieu contre ce manant qui osait mettre en cause son autorité. Mais écoutant les instructions de son thérapeute appelé à la rescousse, on le persuada, après moult traitements, onctions, flagorneries, pommades que le châtiment était un plat qui se mange froid.

Aussitôt, il convoqua au cabinet inquisiteurs, plumitifs, gratte-papiers, condés et délateurs patentés. Sans ambages, à mots crus, il les somma de le retrouver dans les plus brefs délais. Contre quelques pistoles, (la prolifération de ces petits boulots avait permis d’éradiquer le chômage dans les zones dangereuses, les sombres ceintures périphériques), l’armada des agents secrets et doubles,  de liaison, de sureté et des mœurs,   mit le poing sans tarder sur le trouble-fête qui distribuait des torche-cul au pied souillé d’une cité (excusez l’expression triviale, elle est sur le procès-verbal).Le chef, au nom de la confiscation des pouvoirs instruisit lui-même, tambour battant,  ce crime de lèse-majesté :

-           Qui es-tu, manant, requit-il dans la peau de l’instructeur, à oser me défier ? Mon service de sécurité m’a fait savoir que tu es un minable préposé, prédisposé à quoi, sacrebleu ? A me renverser ? Ainsi, tu disposerais encore, toi et ta corporation de régimes spéciaux, la franchise et pas seulement postale, la bicyclette jaune de fonction que tu utiliserais pour faire ta propagande d’agitateur en sus de ton travail de distributeur ! Agent double, Ce n’est pas bien. Savez-vous, Monsieur le camarade, selon votre jargon du siècle dernier, que ce n’est pas juste ! Pensez à tous les autres qui ont déposé à mes pieds tous leurs acquêts et acquis injustifiés…

-           Et les dépités, beau pire…

-           Taisez-vous, impertinent, voyou,  Rouge !

-           Et les culottes de peau, les magnats, les manie-tout, mon sbire…

-           Assez ! gredin ! Apache !

-           Et les aigrefins ! Les initiés ! les gros bonnets !

-            Misérable, gueux ! Comme Sisyphe le rebelle, tu seras condamné à rouler perpétuellement une balle de torchons, pamphlets, feuilles de choux sur les pentes des Buttes Chaumont.  Voilà, vaurien, pour la rééducation ! Exécution !

Deux mots encore, beau manant, susurra le chef dans son habit d’avocat, fais amende honorable, ravale ton fiel, dépose les armes et je te renvoie à la poste. Mieux, je t’envoie l’ascenseur. De quoi te plains-tu ? Chacun ici-bas est à sa place, toi dans le tri postal, moi, ton maître dans le maniement des hommes, des armes et des idées. L’art perpétuel de la carotte et du bâton… Notre belle contrée est prospère, tu as ton dividende. Les villes et leurs faubourgs sont sous contrôle. Les campagnes se couchent toujours de bonne heure.  Plus de combat, plus de débat…

-         Justement, mon pire…

-         Quel culot ! Dehors, mauvaise herbe, sacripant !

glapit le chef dans la robe du procureur, pendez… euh… qu’il accomplisse sa peine et que la pente soit raide. Exécution !

Le bougre fut enchaîné et conduit sans ménagement jusqu’aux But(tes) où il gravit et dévale encore, balle aux pieds, la mauvaise pente sous l’œil goguenard des badauds, supporters inconditionnels du grand capitaine.

Ce dernier, quant à lui,  après cette épreuve cruelle, fit venir la longue suite de ses soignants et s’enferma avec eux jusqu’à nouvel ordre.

   

                                                                                                

                                                                                                             A suivre 

                                                                                                             Ma plume m’emporte

                                                                                                             Dans une contrée

                                                                                                             Où les évènements

                                                                                                             S’enchaînent  sans relâche.

                                                                                                             

                                                                                                             Sachez que

                                                                                                             Quand je la pose, j’ai hâte

                                                                                                             De retrouver le plancher

                                                                                                             Des vaches

                                                                                                             Et aller petit train.

                                                                                                              

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