La petite maison (Borloo)dans la prairie

Publié le par marc

 

                     

« Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village

Fumer la cheminée; et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,

Qui m'est une province, et beaucoup davantage? »

DU BELLAY, les Regrets, XXXI.

 

Dimanche 6 décembre, dans la matinée

L’homme, au teint pâle et à la mine défaite, passe sur le chemin poussant un landau. Peu banale, cette voiturette anthropomobile au milieu des champs. Le promeneur habite un appartement dans le village. Oui, ça existe : studios, deux pièces, lofts et garçonnières en milieu rural ! Rentabilisation de l’espace qui se raréfie…Il suffit de couper une grande bâtisse de briques en quatre, de l’aménager sommairement et l’on obtient quatre clapiers pour famille sans fortune. Inconvénients de la ville et de la campagne cumulés. Espace vital restreint. Fenêtre sur béton et macadam. Pas de jardin pour y faire des bêtises. A vingt heures dans la rue extinction des feux. La star AC par delà la feuille effrontée de la cloison.

L’homme travaille à Solac Dunkerque. Il fait les postes, comme d’autres font leur ronde incessante sans liesse dans des couloirs amers, de jour comme de nuit, dimanche et jours fériés. Noël cette année, c’est raté, il la passera au  (haut) fourneau avec ses guirlandes de machines à feu. Pour un salaire mensuel légèrement au dessus du seuil de pauvreté après des années de veille et de labeur. Le strict nécessaire mais pas suffisant pour quitter son  deux-pièces loqueteux sous les toits. Deux heures d’autocar en plus. Mais il ne se plaint pas, il a du travail. Et c’est un luxe de nos jours pour un travailleur sans arme ni bagage.

Aujourd’hui, comme un dimanche sur trois il est libéré de ses chaînes de montage, et il promène sa fille, son petit trésor, niché sous la couette,  oisillon ravi.

 “Respire, ma fille, inhale l’air vivifiant de la campagne. Il est gratuit. Goûte comme il est bon ! Personne encore n’a  tenté de le commercialiser. Un jour peut-être existera-t-il “la Lyonnaise des airs” ? En attendant profitons de ces heures gracieuses.

L’homme passe sur le chemin du Pont de Planches. Père et fille se parlent : échange de gazouillis et de paroles limpides. De tendres volutes de flocons s’échappent de leurs lèvres et s’élèvent comme des promesses. Entre les champs dépouillés, à ciel ouvert, loin de la cage austère, leurs pensées et leur corps déliés gambadent  De connivence, ils rêvent d’une petite maison comme la mienne, un pied à terre d’accueil, avec un jardin fleuri de mésanges et d’aubépines, un hamac entre deux branches, une balançoire pour approcher le ciel et un petit chien fou courant après sa balle…

 Le gîte sous les étoiles est-il inaccessible ?  Avec un salaire pareil, les banques font la moue. Mais pourquoi se plaindre ? De nos jours, n’est-ce pas une chance d’avoir un toit…

Continuons de rêver, ma fille, par delà le chemin aux talus engourdis. Demain, ta vie sera plus belle, je (man)œuvrerai pour toi…

                                                M.D

 

 

 

Publié dans récits

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F
tant de vérités dites avec tant de délicatesses :-)<br /> big bisous
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