Fée d'hiver

Publié le par marc

J'ai bien vu des tourterelles assises sur un fil téléphonique en train de se raconter des mots doux, le reste est fiction, sauf peut-être encore ma chère mère surprise en flagrant délit de lecture.. Ne vous avais-je dit par ailleurs, par la plume d’Alberto Manguel  qu’  « un individu pelotonné dans un coin, oublieux en apparence des grondements du monde, suggère une intimité impénétrable, un œil égoïste et une occupation singulière et cachottière… »

 

 

                Fée d’hiver (ou presque)

 

Mercredi 16 novembre, 10h Ce matin, à califourchon sur ma  bécane poussive, j’ai tâté le pouls du village et, à travers la presse « mosaïque »* en pâture chez le boulanger, celui du village planétaire. Pas besoin d’être toubib, pour constater qu’il était complètement déréglé, qu’il battait la chamade.

 

Chez ma mère qui, prise en flagrant délit de lecture, enfouit ses mots croisés ou son livre de contes sous le panier de chaussettes à repriser (voyons, voyons, à quelque soixante-seize ans, il est inconvenant de vaquer au milieu du jour quand l’ouvrage impatient ouvre de grands yeux noirs et béants ! Au travail, maman ! La lecture à la lanterne*! ), je prête une oreille curieuse aux dernières nouvelles locales. Extravagantes ! Délirantes ! Je vous en fais juges…

 

Robert, qui, depuis sa rencontre avec Italo Calvino se prend pour « le baron perché » a fait une mauvaise chute,  il est tombé lourdement dans les pommes. Pauvre de lui ! Fernande, sa voisine, n’a guère  eu plus de chance :  lors d’une journée de canicule, alors que les esprits et les corps étaient échauffés, une fine mouche l’a piquée et la blessure l’a plongée dans un profond sommeil, elle est maintenue en vie artificiellement depuis dix-sept ans maintenant. Seul un baiser du prince charmant pourrait la réveiller mais ce dernier, mordu par le virus excitant des affaires n’a guère le temps et la tête au marivaudage car il tourne à grande vitesse « tout autour de la terre dans un wagon doré* ». Autres temps, autres mœurs, les  vraies valeurs s’affichent aujourd’hui à la bourse de Londres ou de Tokyo !

Quant à Jacques le fataliste, sombre comme une nuit sans lune, c’est viscéral, il voit le vice partout, surtout dans la luxure. Alors quand il pense à Fernande*…

Même Jean Eustache, affichant moustache si collet monté, à l’office dominical, avec ostentation, a fait un pet de travers, vent du soir espoir, qui a déridé Marie, pourtant fortement coincée dans ses combin(e-m)aisons amidonnées! Toutes les choristes du dimanche se sont tordues de rire au grand dam de l’organiste Baptiste, rigide « comme un cierge de Pâques »*, qui, en un seul coup de vent fétide, a tourné de l’œil et tout perdu : les pédales de l’harmonium, son latin, son sang-froid, son latin, et même  sa place. Certaines mauvaises langues, et certains lieux graveleux regorgent de ces vipères, crachotent même qu’il en a perdu l’appétit et qu’à cause de ce régime inopiné, il en aurait perdu son pantalon. D’aucunes, perfides et frustrées, l’ont même qualifié de pervers, d’ « agitateur lubrique et débraillé » battant la campagne la nuit  à coups de bâton* sans chemise et sans pantalon* (sic !) Voilà les gerbes de nouvelles glanées rue de l’église. Comme une crêpe, elles m’ont tout retourné.

 

Et ce n’est pas tout ! Gervais, rencontré sur la route de l’apothicaire, d’habitude imperturbable, m’annonce dans un long sanglot, comme un violon de l’automne*, qu’une grenouille a glissé dans le bénitier et sans le bouche à bouche appuyé mais néanmoins chaste d’un rat de sacristie, ardent pénitent, se serait noyée. J’en ai les jambes coupées et ma petite reine interdite refuse d’avancer.

A la pharmacie, où je dépose des analyses de fiel, de bile, de goutte et j’en passe, j’apprends par Léontine que son mari a contracté la rage en surprenant le loup dans la bergerie. « Ah ! Vraiment y a pas de pays où il s’en passe tant que sur notre pauvre terre ! »

 

Et j’apprends encore en chemin par Mylène ( fille de ma vieille amie Georgette qui a été touchée par la Grâce en glissant de son trottoir  savonneux.), que sa propre sœur a fait une overdose de téléréalité, qu’elle se trouve, à l’heure qu’il est,(oh il faut que je me presse !)dans un état  de profonde hébétude, et qu’un sevrage de télévision a été préconisé par son thérapeute pour une période indéterminée.

 

Sonné, je me rends à la boulangerie pour acheter mon pain quotidien. A la vitrine, s’affiche la première page du canard régional, qui ne fait pas dans la dentelle (mais on ne demande pas à une feuille de chou de fabriquer des vers, ni à un concierge de singer le journaliste). Effroi ! je lis : “ Drame sur la route, un chauffeur d’autobus âgé de quatre-vingt-dix-huit ans, à la veille d’une retraite bien méritée, (il lui manque un trimestre) perd le contrôle du véhicule scolaire qui va mourir jusqu’à la plage de Bray-Dunes où les enfants ravis s’adonnent à la joie de la baignade (réchauffement de la planète l’explique, 20° dans l’eau en novembre) au lieu de suivre le cours laborieux de leur scolarité obligatoire. Leurs maîtres à penser, désœuvrés et désorientés par ces aléas, organisent, à la barbe académique de leur supérieur hiérarchique, une concertation bucolique au cœur tendre du bocage, sur le thème porteur : la(ré)création au centre du cursus vital, les quatre âges du bien-être ».

Interloqué, je découvre encore à la une, à la deux et à la trois, nous irons au bois : « Rixe sur le port dans un poulailler de luxe : deux poules déplumées, un poulet au violon et un coq à la bière. », « le pékinois de BB mordu par un  passager clandestin, un diptère aphaniptère au teint basané en l’occurrence » et à la trois : « Le  légionnaire d’Edith se croyant encore en mission dans les colonies de vacances, s’est engagé, la fleur au fusil, dans une guerre des boutons*. » Le monde va mal, très mal  Les hommes marchent sur la tête et les femmes ne valent guère mieux. Le vrai faux nuage de Tchernobyl suspect d’altérer le bon fonctionnement de la thyroïde  et des humeurs du quidam et de sa dame affecte-t-il en outre la raison du commun ?

 

Abattu, sans voix, je pénètre dans le magasin. Je m’attends au pire, le coup fatal qui me clouera au sol, tel le lutteur qui a préjugé de sa force. Et là, derrière le joli comptoir de chêne, miracle ! Merveille des lieux ! Mélanie la marchande de petits fours et de sucres d’orge m’accueille avec un sourire croustillant en forme de croissant et s’exclame, d’une voix chantante :

-           Le soleil est généreux ce matin ! L’automne a des couleurs d’or et d’argent..

Des filets étincelants s’aventurent et s’attardent dans sa longue chevelure. Je respire enfin et  lui rends son sourire ! En quelques mots magiques, Mélanie m’a rendu l’optimisme.

Guilleret, je referme la porte de la boulangerie. Le ciel est bleu. L’air est vif. Mon pain fleure la farine de blé et la fleur des champs. J’enfourche ma bécane filante et salue sur mon chemin tout ce qui remue : les gens, les tourterelles assises sur le fil téléphonique, le  vieux chien sourd de Gaston et les poules pondeuses de Jeannette. Je chante « Y a d’la joie ! Bonjour, bonjour les hirondelles… Non, non elles viennent de migrer … sans visas…. Bonjour bonjour les tourterelles y a d’la joie… »

 

 Mélanie est une fée dans un monde de fous !

 

 

Bibliographie, discographie  (exhaustive)

 

* presse mosaïque à l’étalage : « Potins et potiches des Flandres », « l’anxiogène du Nord », « Le radar septentrional »

 

Les expressions précédées d’une astérisque sont empruntées dans l’ordre aux auteurs ou œuvres suivants :

·        Chant révolutionnaire : ah ça ira, ça ira…

·        Italo Calvino : Le baron perché

·        Jacques Prévert : Tout autour de la terre

·        Brassens : Quand je pense à Fernande, je…

·        Brel : « Blanc comme un cierge de Pâques » Ces gens-là

·         Poème enfantin : battre la campagne

·         Rika Zaraï (chanteuse naturiste) sans chemise, sans pantalon… nous irons danser…

·         Louis Diderot : Jacques le fataliste

·        Edith Piaf : mon légionnaire

·        Verlaine : chanson d’automne

·        Louis pergaud : la guerre des boutons

·        Charles Trenet : y a d’la joie

                            

Pardon d’avoir mêlé la crème et l’écume pour ce  b®ouillon fumeux

                                                          MD                               

 

 

 

Publié dans récits

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