Samedi

Publié le par marc

Plus d’alternance jour nuit. Fi des cycles naturels : exiger des fraises en décembre, espérer la lune à midi. Même dans nos villages les plus reculés, les réverbères poussent plus vite que les arbres et nos nuits sont parfois plus lumineuses que nos jours, notamment au moment de Noël. C’est le progrès ! clament les éclairés. Vrai que le nucléaire est une énergie propre, en apparence du moins…Mais faut pas se fier aux apparences, les déchets y sont cachés dessous. La carte du ciel, dépliée sous nos yeux d’enfant, avec son plein champ d’étoiles, en devient illisible et c’est navrant. Même les chouettes, belles de nuit, ne savent plus où donner du bec. Je hais les lampadaires qui n’effarouchent même pas les voleurs de poules. Et je hais les alarmes, pauvre cloche ! Au coucher du soleil, à minuit ou à midi, tout promeneur solitaire devient suspect. Je hais les chiens dressés pour aboyer

 Au village, je hais aussi les trottoirs, couloirs gris, uniformes de l’ennui, où personne ne trotte paisiblement car c’est le parking des automobiles rutilantes, arrosées, lustrées, embaumées tous les dimanches. J’aimerais tant des petits chemins de pierres, jonchés de marguerites et d’églantines, parsemés de pommiers Je  «  hais les haies »* de cyprès, toujours raides, toujours vertes qui sont aussi laides que les murs de béton. Je préfère celles qui se déshabillent en novembre au regard des enfants et se colorent en mai de mésanges et de rose.

Je hais les lotissements dits résidentiels, dortoirs aseptisés, qui se moquent de la couleur, de l’âme, du génie local et qui font fi de la mixité : ici les cadres blancs et assimilés, là-bas les autres, pauvres et ressortissants étrangers.  Je hais les rues des mimosas, des saules et même des peintres dadas car aucun peintre ne vient dans la rue poser son chevalet. Pas de charme, pas de banc pour asseoir une conversation, mais des trottoirs qui ne se rencontrent jamais, des réverbères et des aires de repos pour les machines à sous  devant le monument aux morts.

Dans le village, je hais aussi les ronds-points qui ne servent à rien et les panneaux menteurs qui indiquent des centres-villes imaginaires et sans cœur . Je hais ces chemins démembrés, rectilignes, sans haies de pinsons et d’aubépines qui s’arrêtent déroutés devant une barrière de maïs ou un fil barbelé : demi-tour les enfants cyclistes et les randonneurs. Place aux monstres agro-industriels Je hais les faucheuses de talus qu condamnent la grenouille, le hérisson, le saule et le gentil coquelicot.

 Je hais toutes ces décisions prises sans consultation du peuple. Mais où se cache le peuple ? Je » vois sans sourire une masse informe et indifférente.

 Ouf ! Je l’ai dit ! Samedi fut mon jour de haine !

Publié dans ephemères rides

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article