lettre à mon grand-père

Publié le par marc

                                                                                                 

 

 

 

                                                        1 janvier 2038

 

                           Cher grand-père,

 

Voilà quelques jours, tu as fermé les yeux irrémédiablement. Comme j’aimais ton regard doux et pénétrant, posé sur le monde et sur nous, surtout. Et voilà qu’en un clin d’œil, il n’embrasse plus personne. Tu sais, grand-mère, aux cheveux argentés, comme la soie, promène toujours à la ronde ses mains caressantes, mais depuis que tu es parti, elle ne voit plus personne. Je crois qu’elle aussi accomplit un grand voyage dans le temps et dans ses espaces intimes. De temps à autre, elle sourit, ses lèvres dessinent un baiser ou un mot tendre, en silence. J’aimerais avoir accès à quelques-uns de ses plus beaux secrets, je crois que les douceurs te sont destinées, par delà le précipice de la mort.

J’ai quinze ans, et j’aurais tant voulu, mon cher grand-père,  te garder rayonnant dans notre cercle de longues  années encore. Il est des liens de sang et d’esprit qui éclairent notre sentier si précaire. Comme j’aimais nos conversations à bâtons rompus sous la voûte des chênes, ces échanges de mots et de sourires complices. Comme j’aimais ces gestes quotidiens partagés : semer, cueillir, goûter, construire, marcher, s’émerveiller, sentir, toucher, être touché, autant de verbes d’action et d’état bienfaisants. Mais non ! Il a fallu que tu t’éteignes soudainement comme cette étoile que j’aperçois à la mansarde. Comme tu me parlais du ciel et de son feu d’artifice silencieux et grandiose chaque nuit renouvelé. Tu sais comme je suis curieux des merveilles du monde, de la fleur, de l’abeille, des nuages, d’un paysage ou d’un visage, du bel agencement des pierres. Bonne curiosité, me disais-tu, en m’ébouriffant les cheveux et je sais combien mes yeux brillants allumaient ton regard. Je crois, grand-père que les êtres ne meurent jamais tout à fait, il est des présences lumineuses, chaleureuses qui se prolongent au-delà des apparences.

Je vais profiter de cette année nouvelle pour exprimer quelques vœux et te les adresser. A côté de moi se trouve ton journal, le bel ouvrage que tu m’as laissé en héritage, avec cette dédicace : « A mon petit-fils si curieux et si respectueux, j’offre ces mots fruits de mes humbles faits et gestes  pour rendre le monde plus beau. » Tu écris à la page deux mille du premier janvier : « La marée lèche les côtes de Bretagne et de Vendée, mais contrairement à l’habitude elle ne se retire pas, elle s’incruste et laisse des traînées visqueuses sur le sable et les galets, l’albatros a endossé une robe noire et moulante et  « exilé sur le sol au milieu des huées, ses ailes de géant l’empêchent de marcher », il se débat impuissant dans un corset de boue. L’homme une fois de plus a souillé la mer et la plage, claironnant encore son credo : «  A moi la terre, après moi le déluge… »

 

Nous sommes encore là, grand-père, petits enfants de cette grande famille d’hommes dévastateurs, « homo sapiens » si peu sages. Comme toi, à l’horizon, j’y vois de gros nuages obscurs et là-bas, à qui sait observer, un pan de ciel bleu et dessous, une Terre unique et fragile que de plus en plus d’hommes, de femmes et d’enfants partout s’efforcent de leurs mains, de toutes leurs forces de protéger, de sauvegarder. Ils clament haut et fort comme Saint Exupéry : « Nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. »

Nous payons aujourd’hui plus que jamais le lourd tribut de vos longues années de croissance brutale, réitérées pendant des décennies, malgré les coups de semonces, malgré les crises. La terre saura-t-elle digérer tous les poisons, déchets de toutes sortes qui ont coûté la vie à tant d’espèces. Notre pauvre planète a fait le deuil de milliers d’oiseaux, de mammifères, de poissons, de plantes… victimes de l’évolution inéluctable, clament certains ; victimes, et c’est beaucoup moins flatteur, de la piètre qualité de l’air, de l’eau, de la terre. D’autres espèces ont vu les jours, fruits de manipulations de laborantins écervelés. Mais comme toi, grand-père, j’éprouve une répulsion viscérale pour ces apprentis sorciers, trop peu modestes pour  être honnêtes, poussés par l’appât du gain et de la gloire. Je voue une admiration sans faille, pour les humbles chercheurs, philosophes, dont le doute illumine la route et qui donnent son véritable sens au progrès.

 

Aujourd’hui, par la force des choses, par la pression et l’action tenaces des êtres, beaucoup d’hommes ont adopté une autre démarche, plus respectueuse de l’autre et de la terre. Est-ce parce que les femmes, sans mettre aux orties leur féminité, et en revendiquant leurs différences ont adouci, ont « humanisé » l’homme, jetant l’opprobre sur ces concepts de pouvoir, de compétition. Elles ont investi en grand nombre les maisons du peuple, les assemblées, les commissions, tous les lieux où les décisions se prennent ? Sans aucun doute. Les jeunes, les enfants aussi, sont des acteurs essentiels et leurs yeux neufs, leur  libre parole ont renversé des tabous de taille.

 

Habiter poétiquement la terre, comme le chante magnifiquement Hölderlin. Se met en place une politique planétaire, avec des commissions d’ « honnêtes hommes » reconnus à toutes les échelles, et une démocratie participative vivante.

 

Révolution écologique et sociale. N’ayons pas peur des mots. Etre plutôt qu’avoir. Etre joyeux et paisible au milieu des autres, dans son environnement, dans ses activités, dans son corps. Avoir est soumis au verbe être. Nos libertés « concourantes » et non plus concurrentes s’enrichissent mutuellement. Une politique planétaire, des commissions d’  « honnêtes hommes » reconnus à toutes les échelles et une démocratie vivante, régénérée.

 

Il a fallu, et il faut encore sans relâche, mettre au pas, et même faire taire un certain nombre d’appétits grossiers, destructeurs- et certains se cachaient parmi les progressistes, en paroles du moins-. Il a fallu en éclairer beaucoup d’autres qui attendaient avec force, les yeux tirés et résignés, cette salutaire éclaircie. Il a fallu aussi accepter de partager le gâteau, pour que chacun, à Rio, à Alger, à Tananarive ou Paris, dans les villages les plus reculés du monde, en croque sa part, sans goujaterie. Tu imagines, grand-père, comme furent fortes les résistances et comme elles le sont encore. Perdre son pouvoir, et pas seulement son pouvoir d’achat. Les mutations sont extraordinaires.

 

Avec le concours désintéressé de grands éclaireurs, à mille lieues des politiques à courte vue, a été mis en place un autre système de valeurs, mais je te sais allergique aux systèmes, et comme tu as raison, c’est la porte ouverte à toutes les dérives. Il foisonne partout des chantiers de belle envergure. Aider au développement harmonieux des peuples et des régions qui depuis des siècles avaient été pillées sans retenue. Finie l’accumulation de mille objets accessoires, fini le gaspillage des ressources. Aujourd’hui chaque innovation répond à ce triple critère avant de glisser dans les canaux de la distribution : servir l’homme et l’épanouir, préserver les ressources et embellir la planète.

 

Chaque goutte d’eau qui passe dans nos circuits retrouve sa pureté originelle en retrouvant son cours. Voilà dix ans que nous n’utilisons plus d’énergie négative et nous nous efforçons de colmater les brèches laissées par les agissements inconscients, il s’agit d’une véritable course contre la montre, contre l’anéantissement. Certains dégâts sont irréversibles : des contrées entières ont été envahies par les eaux, la terre ferme s’est rétrécie et s’amenuise encore. Des millions d’hommes ont perdu leurs racines et ont été contraints à s’installer ailleurs. L’homme a appris la migration à grande échelle, la promiscuité aussi, et a réappris l’accueil. Il faut rendre hommage une fois de plus à tous les précurseurs qui sont entrés en résistance.

 

Je m’attarde sur le sujet, sachant qu’il aurait trouvé en toi un écho favorable, de nobles envolées et des flambées de lyrisme. Sur ton journal, tu écris encore, à l’aide de touches lumineuses : « Paris-Dakar n’amuse et ne bluffe  que les enfants, l’instant du passage, quand il ne les écrase pas. Les mannes, les poches et les ventres sont vides. Les retombées sont de sable, de poussière et d’amertume. Année 2000, année 0,….1 de la coopération entre les hommes. » Quelques trente années plus tard, il reste un musée du Paris-Dakar, intitulé le musée de l’homme pressé, et surtout des terres ensemencées et boisées, d’immenses oasis de paix qui font reculer les déserts.

 

Tu n’as jamais désespéré de l’homme et comme tu as eu raison. Ta parole bienveillante et tes rires nous manquent. Quant à mamie, ses mains et son visage n’ont jamais cessé le dialogue…tendresse.

                                     

                                      Ton petit-fils

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 


 

Perdre son pouvoir et pas seulement son pouvoir d’achat. Les mutations sont extraordinaires. Cette aventure du partage ne fait que commencer.

Avec le concours de grands éclaireurs, à mille lieues de la politique à court terme et destructrice, a été mis en place un autre système de valeurs, mais je te sais allergique aux systèmes, et tu as raison, il ne faut rien ériger sous une forme exclusive et dangereuse. Il foisonne donc partout des chantiers de grande envergure. A l’école, à l’atelier, au bureau, on ne parle plus de notes, de compétition mais de coopération. Il ne s’agit plus de produire, d’accumuler mille objets accessoires, de les jeter, et d’accumuler encore. Aujourd’hui, chaque innovation répond à ce triple critère avant de glisser dans les circuits de la distribution : servir l’homme et l’épanouir, préserver les ressources et embellir la planète.

 

Chaque goutte d’eau

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